L’élite occidentale n’a pas grand-chose à faire du Christ ou de Mahomet. Leur dévotion éperdue s’adresse à une autre divinité ancienne : Mammon. Cet antique dieu de l’Avidité était adoré, avant tous les autres, par les Pharisiens, voilà deux millénaires, comme nous l’apprend l’Evangile. Jésus leur dit : “vous ne pouvez à la fois servir Dieu et Mammon”. Mais les Pharisiens se moquèrent de lui, parce qu’ils adoraient l’argent.
Deux mille ans plus tard, le petit-fils du rabbin Trier, un certain Karl Marx, en arriva à la déduction révolutionnaire suivante : la foi de Mammon, cette “religion des Juifs pour les jours de semaine” – ce sont ses propres mots – est devenue la véritable religion des élites américaines. Marx cite, en l’approuvant, un certain colonel Hamilton : “Mammon est l’idole des Yankees, ils ne l’adorent pas simplement en paroles, mais aussi de toutes les forces de leur corps et de leur âme. A leurs yeux, la terre n’est qu’une immense bourse des valeurs et ils sont persuadés que leur unique mission sur la Terre est de devenir plus riche que leur voisin.” Marx conclut : “Là où la domination effective de la mentalité juive sur le monde chrétien a achevé son expansion, totale et éclatante, c’est en Amérique du Nord.”
Les conférences de Milton Friedman ont été en quelque sorte l’occasion du “coming out” des Mammonites, adeptes de cette croyance. L’homme riche traditionnel n’aurait pour rien au monde rêvé de détruire sa propre société. Il se souciait de son pays et de sa communauté. Il ambitionnait d’être le premier parmi les siens. Il se considérait comme un “meneur d’hommes”, comme un “bon pasteur”. Certes, les bergers, eux aussi, mangent parfois du mouton, mais ils n’iraient jamais vendre le troupeau tout entier au boucher pour la seule raison que la cotation est bonne. Les Mammonites voient dans de telles billevesées une trahison de Mammon. Comme l’a écrit Robert McChesney, dans son introduction à l’ouvrage de Noam Chomsky “Le Profit, avant le Peuple”, “ils exigent une croyance absolue dans l’infaillibilité du marché dérèglementé”. En d’autres termes, une foi faite d’égoïsme et d’avidité illimités. Ils sont totalement exempts de toute compassion pour les gens au milieu desquels ils vivent, ils ne considèrent pas appartenir à la “même espèce” que les gens du coin. S’ils pouvaient éliminer les gens du coin pour les remplacer par des immigrés indigents, afin d’optimiser leurs profits, ils le feraient, comme l’ont fait leurs coreligionnaires, en Palestine.
Les Mammonites n’ont rien à cirer des Américains, mais ils les utilisent comme instruments afin de parfaire leur domination du monde. Leur idéal de ce monde est archaïque ou futuriste : ils rêvent d’un monde partagé entre esclaves et maîtres. Afin de le réaliser, les Mammonites font tout ce qu’ils peuvent afin de détruire la cohésion des unités sociales et nationales.
Tant que les gens restent sur leur terre, parlent leur langue, vivent parmi leurs semblables, boivent l’eau de leurs rivières, pratiquent et prient dans leurs églises et leurs mosquées, ils ne sauraient être réduits en esclavage. Mais dès lors que leurs pays sont submergés par des masses de réfugiés, leur structure sociale s’effondre. Ils perdent leur plus grand privilège : le sentiment d’avoir quelque chose en commun, le sentiment de fraternité. Dès lors, ils deviennent une proie facile, pour les adorateurs de Mammon.
Les réfugiés et les immigrants affluent en Italie parce que leurs pays ont été dévastés par les Etats-Unis et leurs alliés. On ne verrait pas les Albanais à Florence si l’OTAN n’avait pas ravagé les Balkans. On n’y verrait pas de Soudanais, si Clinton s’était abstenu de bombarder le Soudan. On n’y verrait pas de Somaliens, si les Somaliens n’avaient pas été ruinés par la colonisation italienne et l’intervention américaine.
Que les immigrants y viennent en envahisseurs, en conquérants, ou en tant que réfugiés, la société qui doit les inclure reçoit un choc. S’ils sont intelligents, ils évincent les gens du cru de situations sociales intéressantes et prestigieuses, et ils créent de surcroît leur propre sous-culture. S’ils sont violents, ils peuvent s’emparer du pays par d’autres moyens. S’ils sont humbles et effacés, ils causeront une chute du coût de la main-d’oeuvre, c’est-à-dire des salaires. Voilà pourquoi, ordinairement, les immigrés ne sont pas aimés.
Une des publications-phares des Mammonites est l’hebdomadaire britannique The Economist. Ses dirigeants ont appelé, il y a quelques semaines, à accélérer la venue d’immigrants en provenance de pays du tiers-monde. Les gens les plus dynamiques et les plus qualifiés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud seraient très utiles à la Grande-Bretagne, à l’Europe, aux Etats-Unis, écrivait The Economist. Cela ferait baisser les salaires des ouvriers européens et augmenterait les profits des chefs d’entreprises. Naturellement, la condition première de ce recrutement n’était pas écrite en toutes lettres dans l’éditorial : les pays du Tiers-Monde devront, au préalable, être dévastés, et ruinés.
Extraits tirés d’ Israël Shamir